Marinus Jacob Kjeldgaard : l’enquête se poursuit !

D’un début d’enquête aride et peu prometteur, le flic barcelonais Ricardo Méndez, uniquement respecté des filles de mauvaise vie reconverties dans l’hôtellerie-restauration sordide des bas-quartiers de Barcelone, a déroulé le fil d’Ariane et révélé l’importance de Marinus Jacob Kjeldgaard et de ses photomontages satiriques publiés principalement dans le journal Marianne entre 1932 et 1940.

L’enquête de Ricardo, soudainement transformé en historien de l’Art un brin dilettante et insignifiant, a commencé naturellement par la lecture de « MARINUS & Marianne » rédigé par un certain Gunner Byskov, historien de la photographie danois, qui a découvert, le vendredi 14 novembre 2003 à Paris et par le plus grand des hasards, quelques uns des photomontages de Marinus :

 » J’étais au Carrousel du Louvre, à l’occasion de Paris Photo, cette grande exposition à laquelle participent des galeries de photos du monde entier. Sur le stand numéro D12, le galeriste parisien Bernard Dudoignon exposait dix montages photographiques dont je n’avais jamais entendu parler. Ils dataient des années trente et leur qualité était telle qu’ils me coupèrent le souffle et piquèrent ma curiosité. « 

Gunner Byskov

L’Inspecteur de Police a donc pris sur son temps de service pour analyser l’ouvrage « MARINUS & Marianne« , en sirotant des verres de mauvais vin dans des lieux inavouables totalement ignorés des touristes. Le genre de gargottes dont les portes d’accès sont banalisées et ne comportent pas de poignées extérieures…

Ce bouquin est paru le 2 octobre 2008 et réimprimé le 13 juin 2019 dans le cadre de l’exposition Marinus, photomontages satiriques, 1932-1940 présentée en 2019 au Musée de la Déportation de l’Isère, Maison des Droits de l’Homme.

C’est un fort beau livre.

Ricardo Méndez

Cet ouvrage comporte de manière évidente 3 parties même si cela n’apparaitra pas explicitement à l’acheteur hésitant qui se limiterait au descriptif de la quatrième de couverture.

La photo comme témoin de la vérité ?

La première partie décrit tout d’abord le contexte dans lequel évoluera Marinus et qui expliquera sa trajectoire artistique de 1932 à 1940.

Gunner Byskov analyse tout d’abord « la photo comme témoin de la vérité« , une notion loin d’être évidente ! C’est l’historien de la photographie qui parle !

Aux prémisses de la photographie, les photographes avaient du mal à se faire accepter en tant qu’artistes sur le même plan que peintres et dessinateurs. Au cours du 19ème siècle, les photos de paysage primaient et consistaient à représenter le plus exactement possible la réalité perçue. Gustave Le Gray sert ici d’exemple. Mais très vite, des techniques nouvelles apparurent pour faciliter la prise de vue et surtout le tirage. Les précurseurs en la matière sont Gustave le Gray, Oscar Gustave Rejlander, Eugène Appert et William Notman qui procédaient par « collage ».

Viendra un temps où une image sera jugée en fonction de ses qualités et non en fonction de la façon dont elle aura été produite.

Oscar Gustave Rejlander

Une réflexion visionnaire quand on observe ce qu’il se passe actuellement en matière de photographie numérique associée ou non aux technologies issues de l’IA. D’ailleurs, Gustave le Gray, utilisa une technique, avec les moyens de l’époque, pour obtenir des photos de paysage comportant des zones de luminosité très différentes (le ciel et la terre par exemple), mieux exposées . Le Gray faisait 2 prises de vues, une pour le ciel, l’autre pour la terre et réunissait les 2 sur le même négatif. Une sorte de HDR (High Dynamic Range), technique photonumérique apparue vers la fin du 20ème siècle ! Le Gray avait posé le principe bien avant !

Assez vite, les photographes ont poussé plus loin encore le bouchon en passant de la technique du collage à celle du photomontage !

Collage, puis photomontage. Le trucage n’était plus très loin !

Ricardo Méndez

Et c’est bien ce qu’illustre Gunner Byskov à travers les productions de John Heartfield, Alexander Liberman (hebdomadaire français VU de 1930 à 1936) et… Marinus Kjeldgaard (Voilà, 1931-1932 et Marianne, 1932-1940).

Gunner Byskov enchaîne par les montages politiques des années 1960-1970. Il termine son illustration (démonstration ?) par… la « photographie pure » à partir de 1980.

Le traitement des images, qu’elles soient argentiques ou numériques, offre la possibilité d’effacer la limite entre le réel et la fiction. Ces outils ne devraient être utilisés qu’à condition que celui qui regarde n’ait pas à se poser la question si la photo est fictive ou non… Dans les années 1960-1970 se posait déjà le problème de la certification des images, un problème non complètement résolu à ce jour. En 2024, Sony, Nikon, Leica et Canon s’engagent contre la désinformation en fournissant des outils de traçabilité des photos afin de lutter contre les productions virtuelles facilitées par l’IA générative, productions sources de fake news.

La présentation des photomontages de Marinus publiés essentiellement dans l’hebdomadaire Marianne de 1932 à 1940

C’est le coeur de l’ouvrage et c’est superbement bien présenté. Deux pages, côte à côte, sont systématiquement utilisées pour chaque photomontage. La page de droite est la représentation du photomontage, celle de gauche montre l’oeuvre insérée dans la page de Marianne de l’époque. Juste en dessous, le commentaire très convaincant de la photo de Marinus rédigé par Gunner Byskov.

Voici l’exemple du photomontage inséré dans le n° 329 de Marianne le 8 février 1939

Dr Goebbels : Et quels sont vos ancêtres, Monsieur le Professeur ?

Einstein : Mais les mêmes que les votres je crois… les singes !

La vie de Marinus au quotidien

C’est la troisième partie de ce livre. La vie de Marinus restera en grande partie une énigme malgré l’enquête poussée de Gunner Byskov qui tente de retracer sa vie. Marinus quitta le Danemark en 1910 pour ne plus jamais y revenir. Il s’installa à Paris et ne prit pas la peine de fuir en 1940 alors que la police allemande devait nécessairement s’intéresser à son cas. Il a eu beaucoup de chance.

La destinée de Marianne, journal qui n’a rien à voir bien entendu avec le Marianne actuel, dont la dernière livraison est datée du 28 août 1940, est, elle, bien décrite.

Fin de l’enquête. Conclusion rédigée par Ricardo Méndez, Inspecteur de Police.

Marinus n’est pas un simple photographe. Marinus & Marianne n’est pas un simple livre de photographie historique. Marinus & Marianne est aussi, à travers les nombreux photomontages retrouvés et surtout commentés de manière très détaillée et convaincante par Gunner Byskov, un livre d’Histoire contemporaine sur la période 1932-1940, période courte il est vrai mais les évènements l’ont voulue ainsi.

En matière de photographie, les outils sont nouveaux mais les principes utilisés pour le trucage des photos restent, en grande partie, ceux qu’avaient employés en 1871 Eugène Appert, en 1908 William H. Martin et… par Marinus de 1932 à 1940.

Cet ouvrage, avec d’autres, démontre, au besoin, que l’iconographie est une arme politique de choix à des fins de propagande ou de satire pour les gouvernants qu’ils soient fascistes ou antifascistes, pour la presse ou encore les citoyens militants.

Fait à Barcelone, pour servir et valoir ce que de droit.

Inspecteur 2ème classe Ricardo Méndez.

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