La minute philosophique d’un motard insignifiant

Ricardo Méndez aime sa moto qui occupe autant de place dans sa vie que ses anciennes maîtresses, tenancières de bar ou simples prostituées, à une époque désormais révolue et totalement oubliée. C’est d’ailleurs son unique moyen de transport… L’inspecteur a beaucoup cogité sur l’évolution technologique des véhicules modernes grandement aidé par les travaux de Matthew B. Crawford

Notre policier humaniste avait, il y a fort longtemps, arrêté puis relaché une plantureuse motarde, aux longs cheveux sublimement tressés, de couleur jade noir, tombant sur un Barbour vert kaki élimé, et chevauchant une Terrot 350 HCTL millésime 1952. Il l’avait libérée pour services rendus (le lecteur a légitimement le droit de s’interroger sur la nature de ces dits services, un sourire ravageur aurait d’ailleurs sans doute pu suffire).

Ce souvenir résurgent l’amène à se documenter sur les motos Terrot potentiellement chargées jadis de remplacer le cheval au sein de l’armée et des administrations françaises !

Terrot et l’armée française !

Bien faire le distinguo entre le L des modèles HCTL (L comme Luxe !) et le L des modèles HLG (L comme Légère !).

Grille de référence des Terrot

Sur les sites des amateurs passéistes éclairés, pour tous les nombreux modèles Terrot cités, n’est jamais mentionné la hauteur de selle s’étonna le vieux flic alors que cela semble fort important dans la période moderne… A contrario, le poids respectif de ces antiques machines est facile à retrouver, une caractéristique déjà essentielle à l’époque… Ces détails insignifiants vont être incontournables pour la suite des réflexions du vieux motard assermenté…

Pour bien comprendre le raisonnement qui va suivre, il faut bien se souvenir que le flic qui n’a jamais été chef affiche sans complexe un gabarit plutôt modeste… Seule sa répartie légendaire en impose à ses interlocuteurs et adversaires… Son indice morphologique (une donnée inventée par Méndez et qui est le produit de la taille exprimée en m. et du poids du corps nu en kg) est à ce jour de 89,57… Les lecteurs les plus scientifiques dessineront, sans doute sur la nappe d’une gargotte ou sur la page d’un antique carnet de voyage « Le Conquerant », un abaque permettant de visualiser tous les couples poids-taille qui pourraient correspondre à l’indice de Ricardo…

La tortilla au chorizo et au piment rouge que déguste à ce moment précis le vieil homme dans un bar du port Vell aiguise ses sens et il repense soudainement aux innovations technologiques des motos haut de gamme actuelles et tout particulièrement de marques Ducati et Harley Davidson…

Prenons en considération la Harley « Pan American 1250 Spécial », un nom pas guère plus évocateur que la Terrot « 350 HSSC » se dit le flic. Cette Harley est dotée de suspensions à commande électrique à hauteur adaptative censées rendre le pilote plus confiant en abaissant automatiquement la selle à l’arrêt. Diable…

La Ducati Multistrada V4 Rally, embarque, elle, la fonction similaire Easy Lift « afin de rendre la Multistrada V4 accessible au plus grand nombre » affirme le constructeur italien, doux euphémisme empreint de condescendance qui pourrait se traduire par « notre moto peut maintenant être maîtrisée dans les manoeuvres lentes par de petits hommes ! ». Introduite en 2022, cette fonction permet donc de réduire la hauteur de la moto en réinitialisant la précharge de l’amortisseur. Il est ainsi plus facile et plus sûr de poser les pieds au sol lors des manœuvres à basse vitesse…

Ce dispositif est maintenant repris par Triumph et BMW.

Une innovation majeure diront certains mais Mendez possède, même aviné, un sens critique aïgu…

Rappelons-nous… sur les motos préhistoriques fabriquées par Terrot et d’autres et qui ont traversé les guerres, il n’était fait référence à la hauteur de selle… Ce qui n’est pas le cas des motos modernes… Pour l’exemple :

  • la Ducati pré-citée : ajustable de 87 ou 89 cm pour un poids d’environ 260 kg (en ordre de marche).
  • la HD Pan American 1250 Special : ajustable de 85 à 87,5 cm pour 258 kg (toujours en ordre de marche).

Alors oui, ces dispositifs électroniques semblent être une innovation… mais est-ce un progrès véritable ? Cet apport technologique n’est au final justifié que sur une moto haute et lourde (très fréquemment de type « trail » avec un centre de gravité élevé).

Et si, in fine, ces béquilles techno n’étaient là que pour compenser des motos mal conçues à la base qui ne répondent pas aux besoins réels des motards ? Ces alibis technologiques permettent aussi aux constructeurs, concurrencés par les modèles chinois, d’augmenter impunément le prix de ces machines se dit Méndez…

  • prix de la Ducati V4 Rally au 1er août 2023 : entre 27590 et 31590 €
  • prix de la Pan American à la même date : entre 22190 et 23490 €

« Des motos mal conçues à la base qui ne répondent pas aux besoins réels des motards ? » : Méndez se doit d’argüer urgemment avant qu’il ne se fasse étriller par une meute de pilotes barcelonais aux blousons noirs et avides de vengeance…

L’argument principal des constructeurs (Ducati et HD ne sont ici qu’à titre illustratif) est que ces trails monstrueux sont les véhicules ultimes pour traverser le monde, quelques soient les terrains traversés… Est-ce vraiment le cas en pratique ? N’oublions pas que « le poids est l’ennemi du motard »… Ces machines sont beaucoup trop lourdes pour rouler dans le sable… et/ou faire du franchissement d’obstacles… tout au moins dans un voyage au long cours où la fatigue de l’équipage sera présente et croissante. Il est plus raisonnable d’opter pour une moto légère, moins coûteuse et vraisemblablement plus fiable car moins complexe. Une petite Honda CRF 300 est, dans ces cas extrêmes, beaucoup mieux adaptée… Quel motard d’ailleurs s’aventurerait dans le désert avec une moto de presque 30000 € ?

Par ailleurs, ces bécanes là, sont inutilement surpuissantes se dit Ricardo en avalant une gorgée de cerveza de barril…

  • puissance de la Ducat : de 170 à 114 (mode off-road) chevaux.
  • puissance de la HD : 150 chevaux.

Quel pilote exploite de telles puissances (d’ailleurs électroniquement bridées en mode tout terrain) lors d’un voyage quelqu’il soit ?

Et qui prouvera au vieil inspecteur à l’haleine chargée qu’une petite moto de moins de 200 kg à hauteur de selle raisonnable n’est pas apte au voyage ? Toute moto, hormis peut-être une hypersportive au châssis trop rigide, peut rouler sur chemin si elle est bien montée (suspensions, pneus et pilote). Méndez garde dans un coin de mémoire de nombreux voyageurs au long cours qui chevauchent une monture légère, assez basse et technologiquement simple donc fiable a priori… Il pourrait aussi argumenter ici de l’intérêt des nombreuses autres béquilles technologiques embarquées (radar adaptatif, détecteur d’angle mort… ). Il ne le fera pas, Matthew B. Crawford l’analyse bien mieux ! Ces béquilles ne sont proposées aux clients que pour pallier aux défauts conceptuels de motos eu égard aux besoins qu’elles vont satisfaire dans la réalité ou encore pour compenser une certaine inexpérience de très riches motards… Avoir la plus grosse est souvent la première des motivations de l’homo erectus et tout particulièrement des motards-geeks friqués…Les constructeurs jouent sur cet ego-là !

Généralisons un peu se dit soudain notre philosophe auto-proclamé… Qu’est-ce qu’une véritable innovation technologique ?

1) l’apport technologique doit apporter un plus (en rapport à des besoins réels) qui n’existait pas auparavant ou encore un service rendu réellement supérieur à ce que l’on fabrique déjà (notion d’utilité réelle),
2) maintenir au moins partiellement l’existant (une moto légère à la base ne doit pas devenir obèse pour juste faire… de la techno pour la techno ! Ni même se fragiliser potentiellement par apport d’une électronique largement inutile… ),
3) contenir les coûts de fabrication et donc in fine de vente…
4) ne pas créer ou renforcer un rapport de dominance entre constructeur/concessionnaire et… le client-motard. La complexité de ces motos rend leur maintenance problématique et dépendante du réseau des concessionnaires de la marque. L’utilisation systématique de la fameuse « mallette de diag » et la généralisation des garanties prolongées de 4 ans qui rendent incontournables les passages en concession réguliers, systématiques car obligatoires sous peine de déchéance de garantie constituent de facto une menotte qu’il est difficile de cisailler !

Il est donc clair selon Méndez que ces 4 points ne sont pas vérifiés et que les innovations techno. des motos modernes ne sont qu’allégations pour vendre au plus cher… Business is business… Le coût écologique est, par ailleurs, énorme…

Les détracteurs de Méndez de tous tonneaux le gausseront sans vergogne :

« Peut-on voyager en Terrot » s’exclameront-ils en choeur ? Clairement la réponse est… Oui ! Lisez et relisez le « Blog de Manu !« 

Un soleil de plomb inonda le visage craquelé de l’inspecteur quand il sortit du bar… Un aigle blanc argent aux ailes déployées se reflétait dans la vitre d’une Plymouth Road Runner garée parallèlement à son vehicule… Il s’apprêta alors à enjamber sa Moto Guzzi V85 TT, une des rares motos modernes propulsée par un moteur architecturé en V, transmission par arbre et… à refroidissement… air-huile !

2 réponses à « La minute philosophique d’un motard insignifiant »

  1. Avatar de Jean-Marc Virmontois
    Jean-Marc Virmontois

    Cher Inspecteur,

    Une des principales courses à travers déserts, montagnes, plaines roulantes et dunes infranchissables se nomme (comme marque générique car l’histoire la reliant au pays de Ham est désormais terminée sous la pression des Al-Qaïda, Maghreb Islamique (AQMI), Boko Haram et autres groupuscules jihadistes) Le DAKAR…

    Le fameux PARIS-DAKAR qui a fait rêver de nombreux aventuriers ordinaires et de vrais professionnel, est le juge incontestable de la vérité terrain de l’efficacité des machines.

    Le 1er Dakar en 1979 a été gagné en catégorie Moto par Cyril Neveu sur une Yamaha 500 XT, moto légère, basse et d’une puissance modeste (32 ch pour 139 kg et 820 mm de hauteur de selle)

    Dans les années 90, le vainqueur, Stéphane Peterhansel a remporté la course mythique au guidon d’une Yamaha YZE 850T, 80 ch et 200 kg, hauteur de selle 900 mm. La tendance était alors aux dimensions imposantes.

    Puis dans les années 2000, retour aux cylindrées moyennes jugées beaucoup plus efficaces, mais les hauteurs de selle augmentent. En 2020, le vainqueur moto, Brabec, pilotait une Honda CRF 450 Rally (62 ch, 112 kg, hauteur de selle 940 mm) et en 2023, l’argentin Benavides a remporté la course sur KTM 450 Rally Replica (70 ch, 139 kg, hauteur de selle 960 mm).

    Cela confirme votre théorie, Cher Inspecteur, que les évolutions dont vous parlez ne sont que commerciales et compensent pour certaines motos des erreurs de conception, car lorsque l’on parle performance, efficacité, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de correlation entre forte puissance/grandes dimensions et efficacité.

    Mais je dois admettre, que ressentir des chevaux qui ne demandent qu’à être lâchés, que l’on utilisera peut-être jamais à 100%, que de chevaucher une machine aux dimensions respectables, qui parfois demande concentration et force pour la maintenir debout, me procure plus de plaisir que de piloter un modèle réduit aussi efficace fût-il.

    Bravo pour votre article.

    Bien à vous.

    Un lecteur du Pays du sourire.

    J’aime

    1. Avatar de inspecteurmendez

      Cher expatrié et néanmoins ami,
      Merci pour ce soutien inattendu et parfaitement documenté ! Pour enfoncer le clou, les moyennes cylindrées reviennent sur le podium des ventes en France et depuis quelques années la Ténéré 700, moyenne cylindrée bourrée de qualités et sans trop d’électronique embarquée fait un tabac (5ème moto la plus vendue en France en 2022), elle est malheureusement encore un peu haute pour l’inspecteur ! Tout n’est pas perdu donc ! Sans compter les cartons commerciaux des Enfield pourtant réputées pour être un peu mollassonnes…
      Quant aux « grosses », Méndez reconnait ne pas être capable d’exploiter pleinement 170 chevaux à la poignée de gaz !

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2 replies to “La minute philosophique d’un motard insignifiant

  1. Cher Inspecteur,

    Une des principales courses à travers déserts, montagnes, plaines roulantes et dunes infranchissables se nomme (comme marque générique car l’histoire la reliant au pays de Ham est désormais terminée sous la pression des Al-Qaïda, Maghreb Islamique (AQMI), Boko Haram et autres groupuscules jihadistes) Le DAKAR…

    Le fameux PARIS-DAKAR qui a fait rêver de nombreux aventuriers ordinaires et de vrais professionnel, est le juge incontestable de la vérité terrain de l’efficacité des machines.

    Le 1er Dakar en 1979 a été gagné en catégorie Moto par Cyril Neveu sur une Yamaha 500 XT, moto légère, basse et d’une puissance modeste (32 ch pour 139 kg et 820 mm de hauteur de selle)

    Dans les années 90, le vainqueur, Stéphane Peterhansel a remporté la course mythique au guidon d’une Yamaha YZE 850T, 80 ch et 200 kg, hauteur de selle 900 mm. La tendance était alors aux dimensions imposantes.

    Puis dans les années 2000, retour aux cylindrées moyennes jugées beaucoup plus efficaces, mais les hauteurs de selle augmentent. En 2020, le vainqueur moto, Brabec, pilotait une Honda CRF 450 Rally (62 ch, 112 kg, hauteur de selle 940 mm) et en 2023, l’argentin Benavides a remporté la course sur KTM 450 Rally Replica (70 ch, 139 kg, hauteur de selle 960 mm).

    Cela confirme votre théorie, Cher Inspecteur, que les évolutions dont vous parlez ne sont que commerciales et compensent pour certaines motos des erreurs de conception, car lorsque l’on parle performance, efficacité, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de correlation entre forte puissance/grandes dimensions et efficacité.

    Mais je dois admettre, que ressentir des chevaux qui ne demandent qu’à être lâchés, que l’on utilisera peut-être jamais à 100%, que de chevaucher une machine aux dimensions respectables, qui parfois demande concentration et force pour la maintenir debout, me procure plus de plaisir que de piloter un modèle réduit aussi efficace fût-il.

    Bravo pour votre article.

    Bien à vous.

    Un lecteur du Pays du sourire.

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    1. Cher expatrié et néanmoins ami,
      Merci pour ce soutien inattendu et parfaitement documenté ! Pour enfoncer le clou, les moyennes cylindrées reviennent sur le podium des ventes en France et depuis quelques années la Ténéré 700, moyenne cylindrée bourrée de qualités et sans trop d’électronique embarquée fait un tabac (5ème moto la plus vendue en France en 2022), elle est malheureusement encore un peu haute pour l’inspecteur ! Tout n’est pas perdu donc ! Sans compter les cartons commerciaux des Enfield pourtant réputées pour être un peu mollassonnes…
      Quant aux « grosses », Méndez reconnait ne pas être capable d’exploiter pleinement 170 chevaux à la poignée de gaz !

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