Une photo doit-elle être… « parfaite » ?

Souvenons-nous de l’injonction vocifératoire du Commissaire principal Monterde à l’attention de l’inspecteur Méndez qui ne connait pas le mot… « promotion ».

Méndez part en mission le 7 septembre 2023…

Voilà une belle occasion pour le flic, photographe à ses heures, de produire derechef des photos insignifiantes, totalement dénuées d’intérêt !

Attablé dans une gargotte de seconde zone à l’hygiène plus que douteuse, Méndez déguste, un chien errant à ses côtés, la tortilla de la patronne, Rosa Maria, une ancienne prostituée… Il n’est pas encore 10 h à la Zenith El primero Calibre 400 fixée au poignet droit de l’officier quand celui-ci entame son troisième verre de Ramón Bilbao Crianza. Sous l’effet de l’alcool, quelques synapses s’établissent dans l’hémisphère gauche de son cerveau embrumé. Les questions fusent :

  • Une photo doit-elle être « parfaite » ?
  • et d’abord… qu’est-ce qu’une photo « parfaite » ?

Dans notre société se voulant scientifique, rationnelle, technicienne et totalement dépourvue d’imagination, il est évident pour Ricardo qu’une photo est considérée comme « parfaite » quand :

  • l’exposition est optimale donc l’éclairage, naturel, mixte ou artificiel a été parfaitement maîtrisé,
  • le cadrage répond aux canons enseignés (règles des tiers et tous les autres poncifs pédagogiques du même tonneau),
  • la mise au point est, elle aussi, irréprochable (tout est parfaitement net ou… seul le sujet principal est net, le reste de la scène étant noyée dans un flou digne de David Hamilton, le fameux « bokeh » imposé comme « solution finale » à tous les portraitistes débutants (ce qui permet de facto de doper les ventes d’objectifs à très grande ouverture proposés à des prix délirants !).
  • le cliché doit à tout prix respecter les « vraies couleurs » (surtout pour les photos de produits amenés à être commercialisés !), être reproductible dans un format de grande dimension (typiquement, le format d’une affiche publicitaire de rue) et pouvoir être communiqué à l’autre bout de la planète à la vitesse de l’éclair ! (Méndez reviendra sur ce point crucial à ses yeux).

Dans tous les bouquins (ou presque… ), sur pratiquement tous les sites, forums ou autres plateformes, le distinguo photo professionnelle / photo amateur est mis en avant… pour mieux différencier les 2 grandes strates du marché de la photo.

Mais qu’est-ce qu’un photographe « professionnel » s’interroge Méndez en commandant une deuxième tortilla ?

Un photographe « professionnel » est tout bonnement un photographe qui produit des clichés « parfaits » destinés à être commercialisés… Le professionnel de l’image vit de sa production qui doit fatalement répondre aux canons esthétiques et techniques de la période immédiate… Le photographe doit donc faire abstraction de toute imagination… L’art photographique lui est donc inconnu dans le cadre de son métier. Il n’est qu’un maillon dans une chaîne de photographie industrielle ! tout ceci est parfaitement démontré dans l’ouvrage :

L’empire du non-sens, l’art et la société technicienne de Jacques Ellul.

A ce concept de « photo industrielle« , Ricardo oppose la « photo apaisée » !

La photo apaisée possède les caractéristiques inverses de la photo industrielle :

  • une exposition souvent très imparfaite (mais qui s’avère souvent très plaisante à l’oeil !),
  • un cadrage qui ne répond pas aux canons : Nath-Sakura prône que « le seul moyen artistique de faire une photo présentant un horizon est de le faire pencher !« 

Pourquoi faire pencher vos horizons ?

  • une mise au point laissant à désirer (selon la compétence, l’état du photographe ou les possibilités de son boîtier)… Une photo présentant des flous non désirés est-elle forcément à éliminer ? « Non bien sûr ! ». A contrario, est-il imaginable de faire un portrait sans bokeh ? « Affirmatif ! » déclame Méndez !
  • quant aux critères purement techniques qui permettent de mettre le plus rapidement possible un cliché sur le marché (« vraies » couleurs, très haute définition à des fins d’agrandissement, possibilité de transmettre en temps réel ou presque l’image), voilà qui est absolument insignifiant pour un praticien de la photo apaisée !

Méndez est surpris une fois encore par ses propres réflexions !

La photo « apaisée » se résume-t-elle à la photographie type Henri Cartier-Bresson ? Se limite-t-elle aux sujets proches et statiques ou peut-elle intégrer la photo d’action et/ou de types animalière ou sportive ? « No limits ! » cria presque Ricardo car, in fine, la photo apaisée n’est pas contrainte par… une commercialisation quelconque ! On aime une photo apaisée pour les émotions artistiques qu’elle transmet, non pour sa perfection… Certains rechercheront même l’imperfection (générée souvent par maladresse inavouable dans la belle société ou par les limitations du matériel utilisé à la prise de vue) en la fabriquant artificiellement de toutes pièces en post-production.

Doit-on ici parler de… matériel ? Existe-t-il un matériel orienté « photo industrielle » ou, a contrario, orienté « photo apaisée » ?

Clairement, oui, au moins pour la photo industrielle, la moins intéressante aux yeux de Méndez !

Un appareil dédié à la photographie industrielle se repèrera vite par… son poids et… son prix. Ce matériel sera capable de prendre des photos parfaites de n’importe quel type dans n’importe quel environnement (si le boîtier est associé à des objectifs idoines). Autre particularité, le boîtier sera pourvu d’une connectique avancée pour transmettre des clichés lourds en temps réel (citons notamment un port RJ45 et la possibilité de se connecter à un serveur FTPS… Rien que ça !!). Le photographe sera assisté par une IA (terme parfaitement inapproprié désignant une palanquée d’algorithmes sophistiqués de type « deep learning ») permettant à l’opérateur (terme plus adapté ici que celui de « photographe ») « d’aller vite » au niveau de la mesure de la lumière et de la mise au point souvent complexes sur un sujet aux mouvements aléatoires. Speed is money !!!

Pour s’en convaincre, le site de Nikon présentant son dernier boîtier industriel est éclairant !

Nikon Z-9

En guise de conclusion provisoire :

Photographier, c’est maîtriser la lumière. Certains seront des « photocopieurs » (selon Nath-Sakura) dont l’objectif sera de faire des photos parfaites donc commercialisables et potentiellement génératrices de profits en reproduisant très fidèlement une réalité du moment intégrant les biais de jugement des producteurs et consommateurs, d’autres des créateurs (même ratés !) qui chercheront à exprimer idées et sentiments d’un moment fugitif à travers une photo souvent médiocre et sans valeur marchande aucune !

Le flic, épuisé par tant de réflexions, sortit vivement du bar avec lenteur.

7 réponses à « Une photo doit-elle être… « parfaite » ? »

  1. Avatar de Jean-Marc Virmontois
    Jean-Marc Virmontois

    « Inspecteur, avant de vous presser lentement sur le trottoir de la gargote, prenez un 4ème Ramón Bilbao Crianza…  »

    Puis-je m’asseoir à votre table ?

    Je prends ce hochement de tête comme une approbation, à moins que cela ne soit dû à un changement de l’activité électrique du cerveau de Méndez, passant au stade « N2 » ou sommeil lent…

    L’index pointé vers la table, je décris un cercle presque parfait que la tenancière compris immédiatement… « Rosa ! C’est pour moi… »

    Juste une petite réflexion sur la photo industrielle.

    Je pense que désormais, la définition extrême de l’image est superflue.

    Ici en Asie, les agrandissements démesurés ne sont plus nécessaires car les affiches publicitaires ont disparues depuis bien longtemps remplacées par des écrans géants diffusant des vidéos commerciales sur toutes les façades disponibles.

    Ne doutons pas que ce mode de communication débarque sous peu sur le vieux continent.

    La définition et ses limites sont désormais celles de ces écrans géants et non plus celles de la photo source.

    Les constructeurs de matériel de photographie industrielle s’adapteront à ces supports et les boîtiers évolueront vers plus de technologie, d’IA, de gadgets en tous genres plutôt que vers une course aux pixels… Ça c’était avant 🦖🦖🦖🦖

    Allez, Inspecteur, un dernier pour la route ?!

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    1. Avatar de Inspecteur Méndez

      C’est bien volontiers que l’inspecteur accepte votre verre !
      Ceci étant dit, et avant qu’il ne sombre dans un sommeil réparateur, il tient à offrir à votre sagacité quelques éléments de réflexions :

      Les problématiques, en terme d’affichage, de la photo et de la vidéo sont techniquement différentes… La vidéo nécessite beaucoup moins de pixels (au niveau notamment du capteur du boîtier) puisque les images sont fugitives et heureusement car sinon cela poserait des problèmes de fluidité et d’espace de stockage… La photo, elle, et je parle de photo industrielle est par définition statique et là… « la course aux pixels » pour reprendre votre expression est toujours d’actualité… D’ailleurs, le moyen format se vend de plus en plus (notamment dans le domaine de la photo de mode) et affiche avec fierté plus de 100 millions de pixels (voir Fujifilm, Hasselblad, Phase One avec ses… 150 MP !). Nat-Sakura travaille d’ailleurs parfois avec un Phase One.
      Même au niveau des appareils destinés à la photo apaisée, prenons le boîtier de Méndez, le Fuji X-T5, qui n’est clairement pas un boîtier industriel, affiche de manière insolente 40 MP pour un tout petit capteur APS-C et l’énorme avantage est de pouvoir faire des recadrages (les fameux « crops ») sans trop perdre en qualité, ce dont votre serviteur ne se prive pas… Sur ce même boîtier, il existe même, pour enfoncer le clou, un mode Pixel Shift Multi-Shot 160 Mpx (160 millions !) atteint de manière logicielle en empilant plusieurs clichés identiques (la scène doit être statique bien entendu, trépied obligatoire) : c’est clairement un artifice algorithmique !
      Donc oui, en photographie industrielle (et scientifique) les producteurs d’images ont besoin de « gros capteurs en taille et en nombre de pixels »… D’ailleurs Fuji a choisi, contrairement à Nikon, Canon et Sony, de ne pas fabriquer de « full-frame ». Il se contente du format APS-C et… pour les professionnels de l’industrie, du moyen format à plus de 100 MP… Une stratégie semble-t-il payante !
      Mais tout cela satisfait les photographes industriels… Méndez, photographe et flic raté, peut se satisfaire de n’importe quel appareil puisque ses photos sont… carrément imparfaites et insignifiantes… !

      « L’appareil n’est guère important pour qui sait maîtriser la lumière » dirait Nath !

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      1. Avatar de Jean-Marc Virmontois
        Jean-Marc Virmontois

        Inspecteur, merci pour ce recadrage !

        Même avec une McLaren 750S (331 km/h pour 750 ch et 800 Nm de couple) le meilleur pilote du monde ne dépassera pas les 70 km/h sur les routes du col de l’Iseran.

        ¡María! Otro, es para mí.

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      2. Avatar de Inspecteur Méndez

        Méndez: « El Col de l’Iseran… No hay nada como mi Guzzi con cardán ».
        Rosa: « ¡Ya mismo! ¡La próxima es mía!

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      3. Avatar de Jean-Marc Virmontois
        Jean-Marc Virmontois

        ¡María! ¡Rosa! ¡Igual a esta hora!

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7 replies to “Une photo doit-elle être… « parfaite » ?

  1. « Inspecteur, avant de vous presser lentement sur le trottoir de la gargote, prenez un 4ème Ramón Bilbao Crianza…  »

    Puis-je m’asseoir à votre table ?

    Je prends ce hochement de tête comme une approbation, à moins que cela ne soit dû à un changement de l’activité électrique du cerveau de Méndez, passant au stade « N2 » ou sommeil lent…

    L’index pointé vers la table, je décris un cercle presque parfait que la tenancière compris immédiatement… « Rosa ! C’est pour moi… »

    Juste une petite réflexion sur la photo industrielle.

    Je pense que désormais, la définition extrême de l’image est superflue.

    Ici en Asie, les agrandissements démesurés ne sont plus nécessaires car les affiches publicitaires ont disparues depuis bien longtemps remplacées par des écrans géants diffusant des vidéos commerciales sur toutes les façades disponibles.

    Ne doutons pas que ce mode de communication débarque sous peu sur le vieux continent.

    La définition et ses limites sont désormais celles de ces écrans géants et non plus celles de la photo source.

    Les constructeurs de matériel de photographie industrielle s’adapteront à ces supports et les boîtiers évolueront vers plus de technologie, d’IA, de gadgets en tous genres plutôt que vers une course aux pixels… Ça c’était avant 🦖🦖🦖🦖

    Allez, Inspecteur, un dernier pour la route ?!

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    1. C’est bien volontiers que l’inspecteur accepte votre verre !
      Ceci étant dit, et avant qu’il ne sombre dans un sommeil réparateur, il tient à offrir à votre sagacité quelques éléments de réflexions :

      Les problématiques, en terme d’affichage, de la photo et de la vidéo sont techniquement différentes… La vidéo nécessite beaucoup moins de pixels (au niveau notamment du capteur du boîtier) puisque les images sont fugitives et heureusement car sinon cela poserait des problèmes de fluidité et d’espace de stockage… La photo, elle, et je parle de photo industrielle est par définition statique et là… « la course aux pixels » pour reprendre votre expression est toujours d’actualité… D’ailleurs, le moyen format se vend de plus en plus (notamment dans le domaine de la photo de mode) et affiche avec fierté plus de 100 millions de pixels (voir Fujifilm, Hasselblad, Phase One avec ses… 150 MP !). Nat-Sakura travaille d’ailleurs parfois avec un Phase One.
      Même au niveau des appareils destinés à la photo apaisée, prenons le boîtier de Méndez, le Fuji X-T5, qui n’est clairement pas un boîtier industriel, affiche de manière insolente 40 MP pour un tout petit capteur APS-C et l’énorme avantage est de pouvoir faire des recadrages (les fameux « crops ») sans trop perdre en qualité, ce dont votre serviteur ne se prive pas… Sur ce même boîtier, il existe même, pour enfoncer le clou, un mode Pixel Shift Multi-Shot 160 Mpx (160 millions !) atteint de manière logicielle en empilant plusieurs clichés identiques (la scène doit être statique bien entendu, trépied obligatoire) : c’est clairement un artifice algorithmique !
      Donc oui, en photographie industrielle (et scientifique) les producteurs d’images ont besoin de « gros capteurs en taille et en nombre de pixels »… D’ailleurs Fuji a choisi, contrairement à Nikon, Canon et Sony, de ne pas fabriquer de « full-frame ». Il se contente du format APS-C et… pour les professionnels de l’industrie, du moyen format à plus de 100 MP… Une stratégie semble-t-il payante !
      Mais tout cela satisfait les photographes industriels… Méndez, photographe et flic raté, peut se satisfaire de n’importe quel appareil puisque ses photos sont… carrément imparfaites et insignifiantes… !

      « L’appareil n’est guère important pour qui sait maîtriser la lumière » dirait Nath !

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      1. Inspecteur, merci pour ce recadrage !

        Même avec une McLaren 750S (331 km/h pour 750 ch et 800 Nm de couple) le meilleur pilote du monde ne dépassera pas les 70 km/h sur les routes du col de l’Iseran.

        ¡María! Otro, es para mí.

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