Le capitalisme de plateforme

L’exemple typique de Ionnyk !

Le flic lâché par sa hiérarchie est lessivé, déprimé… luttant jusqu’à l’épuisement contre ses vieux démons nostalgiques… Nous le retrouvons accoudé au comptoir du “Sor Rita”, la soeur Rita et “Zorrita”, la fille facile, un verre de Montsant D. O. près de ses lèvres jaunies par le tabac, un Pisto Manchego face à lui… Il ne rentre pas ce soir

Nostalgique, ruminant quelques idées suicidaires, l’inspector aux traits ravagés ravive les souvenirs d’une époque révolue où tout n’était pas marchandisé et où les êtres recherchaient encore les rapports charnels le soir dans les bars glauques de Barcelone. Un univers de troc où l’on échangeait des idées, une photographie volée, un repas, un peu de chaleur humaine pour une nuit…

D’ailleurs, Méndez, piètre photographe à ses heures perdues, ne vend aucunement ses oeuvres invendables comme il l’explique ici :

Hélas… le capitalisme de plateforme, comme l’a analysé Nick Srnicek, a détruit systématiquement troc et relations humaines directes en intercalant dans les échanges des plateformes numériques.

Un article déjà ancien du flic alcoolique tente de décrire ce mécanisme destructeur :

Méndez se plait, de fois à autre, à évoquer le marché quasi-disparu de l’Art Minable

L’Art Minable… des oeuvres insignifiantes, déclassées, inabouties qui s’échangeaient sous le manteau dans le clair-obscur des bars de nuit de Barcelone… Echange d’une photographie contre quelques verres de vin ou plus rarement contre une nuit de plaisirs… Ces oeuvres-là n’étaient que prétexte à la rencontre, aux échanges humains d’un soir ou d’un bout de vie…

Mais même les photos de Méndez généraient du business dans son quartier… Les épiciers de bout de rue trouvaient leur compte en les exposant, de même les encadreurs sis sur les trottoirs et imprimeurs au black… Tout ce monde se retrouvait en fin de soirée dans un bistrot inconnu des touristes et fréquenté par flics rétrogradés, proxénètes flambeurs, prostituées rêvant de cinéma, pickpockets (voire bandits)  manchots, joueurs invétérés et bonimenteurs à la petite semaine…

Est venu plus tard le temps des galeristes et autres marchands d’art installés dans les quartiers bobos de la capitale catalane… Il va sans dire que l’Art Minable n’a eu sa place…

Malgré tout, Ricardo se plait à défendre les galeristes qui maintiennent le plus souvent les relations physiques entre artistes et amateurs d’Art ne serait-ce qu’à l’occasion de vernissages… où l’officier de police, sans carton d’invitation aucun, se faufile vers le bar improvisé à base de tréteaux, profitant de la densité de l’éphémère foule de bobos prétentieux alcoolisés de la nouvelle Barcelone…

Ionnyk, la fin des galeristes ?

La société wallonne Ionnyk, fondée par Mathieu Demeuse et Antoine Baudoux, commercialise, depuis 2021, des cadres numériques destinés à exposer des photos uniquement monochomes car ces cadres utilisent la technologie « e-paper » qui offre malgré tout un excellent rendu visuel.

Un même cadre permet de faire défiler un certain nombre d’oeuvres : ce dispositif est donc bien une galerie virtuelle en première approche. Mais « s’arrêter là dans le raisonnement serait erreur grossière » réfléchit à voix haute le meneur d’enquêtes…

Le cadre (vendu au client final plusieurs milliers d’euros) n’est que prétexte, pour cette startup belge, pour imposer un écosystème fermé, une plateforme d’oeuvres d’art privatrice comme l’analyserait Richard Matthew Stallman.

Cet écosystème propose au client amateur d’art un abonnement mensuel autorisant l’accès à un certain nombre d’oeuvres photographiques réalisées par des artistes sélectionnés par Ionnyk… « Un catalogue en constante évolution » promet la startup… Méndez n’en doute pas… Il faut bien vendre…

Il est même possible d’acheter des oeuvres rares authentifiées et à tirage limité… Des oeuvres dématérialisées donc… S’affranchir du réel en le détruisant…

Le rusé inspecteur a promptement repéré dans  Ionnyk les menottes numériques inhérentes à tout système privateur :

  • destruction des métiers traditionnels qui ont du sens : fabricants de cadres, encadreurs, imprimeurs, loueurs de salles… C’est la fin des vernissages alcoolisés !
  • destruction derechef de la relation directe et physique entre artiste et amateur d’art,
  • l’oeuvre est dépendante de la technologie proposée (e-paper ne peut reproduire que des photos monochromes, l’artiste n’a pas le choix de la dimension du cadre)  : la technique prime sur l’oeuvre !
  • le propriétaire d’un cadre Ionnyk ne peut pas visualiser de photos personnelles sauf passation de contrat avec la startup en qualité d’artiste. Le cadre physique est à lui mais pas son utilisation… C’est Ionnyk qui décide, in fine, si l’on est artiste digne de cet écosystème ou non… Ionnyx serait-il de surcroît critique d’art et prescripteur ?

Il est facile de deviner que l’objectif de Ionnyk est de virtualiser l’échange physique traditionnel et direct entre artiste et amateur d’art qui devront tous deux passer par la plateforme via le guichet d’entrée qui est le cadre numérique associé à l’application Android/iPhone idoine de Ionnyk…

Ainsi :

  • Ionnyk monétisera le droit de l’artiste (au préalable reconnu comme tel sur des critères obscurs) de déposer des oeuvres dans une banque numérique,
  • Ionnyk monétarisera également les accès éphémères à l’oeuvre via l’achat d’un cadre numérique à technologie propriétaire et d’un abonnement mensuel. D’aucuns qualifient Ionnyk de « Netflix de la photo d’art » !
  • Si l’amateur veut faire connaître ses propres photographies à travers ce système de galerie virtuelle, il devra se soumettre aux conditions d’Ionnyk en qualité d’artiste potentiel…

Toujours les mêmes ficelles limées d’un néocapitalisme violent…
Il est toujours plus facile de vendre quand on détient à la fois le tuyau et son contenu !

Ricardo Méndez

La présentation de Ionnyk dans la magasine Forbes (de la propagande affirme courageusement Ricardo !)

3 réponses à « Le capitalisme de plateforme »

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