L’Open Source et le pélerinage de Ricardo Méndez

Installé à une table du célèbre « Can culleretes » en activité depuis… 1786, le flic le moins promu d’Espagne déguste des « xipirons fregits a l’andalusa » à 12 € en s’abreuvant de vi blanc de la casa, le fameux Bodegas bellod à 7 € le verre…

A proximité de son ballon, un smartphone Google Pixel 5 destiné à remplacer son vieux Nokia N95… Ce « Pixel 5 » n’est pas un cellulaire ordinaire… car Méndez a écrasé dans une grande jouissance Android 12 et installé un Androïd Open Source proposé par la e-foundation… Nous en reparlerons bientôt…

D’aucuns seront surpris par l’appétence de ce flic dépassé pour les techniques numériques – lui qui en est resté aux livres papier et utilise un stylo à bille Caran d’Ache 849 pour griffonner sur un vieux carnet vintage à couverture cuir – et encore plus étonnés en devinant l’étendue de ses connaissances dans les domaines des systèmes et réseaux…

Il est grand temps de donner un coup de projecteur sur cette zone d’ombre de notre pittoresque personnage…

Il y a des décennies que l’inspecteur le plus détesté des haut-gradés de Barcelone s’est imprégné de la culture Open Source…

Le pélerinage Open Source de Ricardo est balisé par 5 ou 6 célèbres informaticiens militants… qui ont fait date dans l’histoire du 20ème siècle et dans la période récente pour certains…

La vieille garde…

Di Cosmo tout d’abord…

Di Cosmo est un universitaire italien qui a enseigné en France et qui s’est rendu célébre par la publication, avec la participation de Dominique Nora, d’un petit opuscule « Le Hold Up planétaire : la face cachée de Microsoft« . Il est toujours disponible en ligne, sous licence Creative Commons et au format pdf.

L’introduction percutante de cet essai a fait l’effet d’une bombe à fragmentation dans le cerveau sclérosé du flic…

Nul ne pouvait, en 1998, deviner que Microsoft s’identifierait par la 5ème lettre de l’acronyme GAFAM bien longtemps après…

Linus Benedict Torvalds

Linus Benedict Torvalds a 21 ans en 1991, est étudiant à l’Université d’Helsinki et vient juste d’écrire le fameux « noyau Linux » dérivé d’UNIX. Fait moins connu, il est aussi le créateur du logiciel de gestion de versions décentralisée Git qui est depuis incontournable pour les développeurs de l’Open Source…

La vie militante de Torwalds, qui se définit parfois comme « dictateur bienveillant », est très mouvementée donc… intéressante ! Le monde de l’Open Source n’est pas un long fleuve tranquille ! La recherche de la domination et du pouvoir existe aussi dans ce milieu se désole Méndez…

RMS !

Qui ne connait pas Richard Matthew Stallman (RMS) ?

Le vieil homme de loi aurait volontiers échangé avec cet informaticien hors du commun devant quelques verres de bière, tout en se rappelant que :

« Free software is a matter of liberty, not price. To understand the concept, you should think of free as in free speech, not as in free beer« 

… Il s’est contenté de déguster sa « biographie autorisée…  » !

RMS est un pur… De la même race que l’inspecteur raté qui écrit ces lignes…

Là encore, le personnage est truculent se dit Méndez ! A l’origine du projet GNU, il ne cesse de promouvoir le logiciel open source, critique les logiciels libres dont l’usage nécessite des logiciels « privateurs » (Android à la mode Google est un bel exemple !) et, c’est évident, réfute les logiciels propriétaires et intrusifs…

RMS est contraint de démissionner du MIT et de la FSF suite à ses déclarations :

Durant l’affaire Epstein, l’une des victimes de son réseau de prostitution de mineurs, Virginia Giuffre, déclare dans un témoignage qu’Epstein l’a forcée à avoir des relations sexuelles avec Marvin Minsky, professeur au MIT. En 2019, en défense de Minsky, défunt depuis, Stallman écrit dans une liste de discussion interne du MIT à propos de Virginia Giuffre « Il est possible d’imaginer de nombreux scénarios, mais le plus plausible est qu’elle s’est présentée comme entièrement consentante. Si Epstein la forçait à avoir des relations sexuelles, il avait toutes les raisons de lui dire de cacher [qu’elle agissait sous la contrainte]. » Il ajoute qu’il est « moralement absurde de définir le viol d’une façon qui dépend de détails mineurs comme le pays où cela s’est produit ou le fait que la victime ait 18 ou 17 ans. », sans toutefois prendre la défense d’Epstein. Il le dénoncera d’ailleurs plus tard, le traitant de « violeur de série », « méritant d’être enfermé »

Sa réintégration à la FSF est effective en 2021. « Quel personnage ! » s’exclama Ricardo en commandant un quatrième verre de vin.

La nouvelle garde !

Les combattants de « la vieille garde » ont fait un boulot extraordinaire, pense l’officier de police, informaticien à ses heures perdues : défendre sans relâche aucune le modèle économique Open Source contre celui des brevets adopté par les groupes industriels (historiquement Microsoft comme l’a analysé avec brio Di Cosmo). Grâce à ces pionniers, le modèle Open Source a été adopté, uniquement partiellement et quand cela les arrange, par tous les acteurs économiques du secteur, Google en tête ! On ne compte d’ailleurs plus le nombre de sociétés Open Source avalées par les géants du web qui récupèrent du coup leurs innovations… « L’innovation vient en très grande partie des start-ups du monde ouvert… N’oublions jamais cela » pensa l’officier déclassé…

Un des exemples-phares de grosses entreprises industrielles dont la production est 100 % Open Source est… Red-Hat qui en tire d’énormes bénéfices ( « free as in speech, not free as in beer » ). Détruisons une fois pour toutes le mythe : logiciel open Source = logiciel gratuit !

Le dernier quart du 20ème siècle a vu l’émergence de groupes tentaculaires qui se comptent sur les doigts d’une main : Google (maintenant Alphabet), Apple, Facebook (devenu Meta), Amazon et Microsoft… « Le fameux GAFAM » qui n’a d’égal que BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) en Asie…

L’innovation technologique a été très forte en fin de siècle dernier aussi bien au niveau hardware (« la quincaillerie » raille Méndez) avec des circuits électroniques sans cesse plus denses et rapides (remember la fameuse Loi de Moore) accroissant de facto la puissance de calcul et les espaces de stockage… Cette évolution qualitative fulgurante du matériel a orienté le développement du software vers une exploitation statistique de données massives maintenant possible. Cette manière de traiter les données a permis un usage démesuré de vieux algorithmes destinés à mimer l’intelligence humaine (ce que certains appellent très abusivement « Intelligence Artificielle »). Par ailleurs, les données sont réparties entre quelques centaines de très gros Data-Centers (une concentration qui permet d’accroître pouvoir et dominance des entreprises du GAFAM mais aussi des Etats sur les individus… Cela n’est possible que par le truchement de réseaux performants (rendus opérationnels par les techniques innovantes de traitement du signal et de l’électronique associée).

Pour ceux pour qui le traitement du signal est une notion carrément absconde… la fantastique aventure de Hedy Lamarr revisitée par Méndez peut s’avérer une douce approche de ce concept !

Les lecteurs de l’inspecteur désabusé sont généralement avides de connaissances et possèdent un sens critique des plus acérérés… Nombre d’entre eux se posent la question (tout en ayant les réponses !) : pourquoi se lancer dans le traitement massif des données alors que cela présente des coûts colossaux y compris écologiques ? La réponse est évidente dans le contexte d’un système néo-capitaliste exacerbé et décomplexé : la recherche de la dominance de quelques uns sur… la planète et ses populations à des fins de profits mais pas uniquement… En effet, les affaires ne peuvent se réaliser que dans un environnement apaisé (« N’affolons pas les milieux financiers » pensa Ricardo). Il faut donc contrôler les populations par l’intermédiaire des forces étatiques, forces militaro-policières souvent en voie de privatisation que l’on va aider un peu en leur vendant de la « technopolice »…

Relisez l’article du vieux flic sur la dominance économique de notre monde…

C’est dans ce contexte-là que de nouveaux militants informaticiens se font connaître grâce, en France, à LQDN (La Quadrature Du Net), organisation de défense des libertés et droits des citoyens. L’affaire Snowden, elle, a eu un retentissement mondial.

Jérémie Zimmermann

Jérémie Zimmermann est l’acteur-charnière entre anciens et nouveaux militants puisqu’il a été administrateur de l’April, une association de promotion et de défense du logiciel libre de 2004 à 2014. Parallèlement, il a été co-fondateur et porte-parole de La Quadrature Du Net de 2008 à 2014 dont il s’est ensuite éloigné progressivement avant de quitter officiellement l’association en 2018.

« Une bande de potes derrière une bannière commune, partageant des idées et certaines formes d’inspiration et d’expérience, pour apprendre ensemble et inventer des modes d’action marquants et irrévérencieux, pour surprendre et être là où l’on ne nous attendrait pas. »

« Après une prise de distance progressive, les processus administratifs ont fini de m’éloigner définitivement de la Quadrature. Il me semble que budgets, rapports, mais surtout recrutements (« ressources humaines » !), gestion et autres processus plus ou moins déshumanisants sont la norme de toute structure institutionnalisée, son essence ».

En interne, des réunions, des informations « qui circulent mal », des « conflits inter-personnels », le carcan des statuts… De l’extérieur, une structure apparaissant « comme plus sage, plus prévisible, plus « présentable », plus compatible avec le fait de devenir un « bon client » des médias, un « interlocuteur » pour des pouvoirs publics avides de vernis démocratique ».

« Et le naturel (humain !) revient au galop…  » pensa Méndez…

Edward Joseph Snowden

Edward Joseph Snowden est un ancien salarié de la Central Intelligence Agency (CIA) et de la National Security Agency (NSA), il a révélé l’existence de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques. Son aventure en qualité de lanceur d’alerte extrêmement documentée sur Wikipedia est bien connue et Ricardo n’en rajoutera pas. Il vous recommande simplement le bouquin de Glenn Greenwald :

Notons pour conclure que l’affaire Snowden a permis une prise de conscience des populations qui s’est traduite par des ouvertures massives de comptes de messagerie chiffrée (Protonmail, Tutanota… ), l’utilisation d’outils de communication en temps réel comme Signal et le renforcement de la popularité du réseau TOR.

Félix Tréguer

Félix Tréguer est chercheur associé au Centre Internet et Société du CNRS et membre fondateur de La Quadrature Du Net.

Méndez vous propose la relecture de son billet où il fait l’éloge inconditionnel de « Odyssée 2.0 » :

Son ouvrage majeur « Contre-histoire d’Internet » est un monument que tout citoyen éclairé se devrait de lire.

Méndez a bu les paroles de ce grand militant-chercheur et reprend sa conclusion sans rien pouvoir ajouter :

Pour conclure, faut-il arrêter la machine ?
Le numérique est un fait social total, de la même manière que le capitalisme en est un. On peut se dire anticapitaliste, mais on vit de fait dans un système où il est pratiquement impossible de se passer de la monnaie ou de sortir de la sphère des échanges marchands. Il faut donc faire avec, sans évidemment renoncer à transformer cet état de fait.
Je suis devenu très critique du processus de numérisation, je pense que nous sommes allés beaucoup trop loin. Quand j’ai découvert Internet au début des années 2000, j’avais beaucoup d’espoir s’agissant de ses usages médiatiques comme la capacité pour les individus à communiquer, à s’exprimer à une échelle transfrontières. Aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle et la numérisation de l’ensemble des activités sociales, on est bien au-delà de cela. À cette échelle, il ne fait plus de doute que le numérique est devenu aliénant, écocide, comme d’autres technologies qui pouvaient paraître bonnes à l’origine et qui se sont ensuite avérées poser problème.

Je serai donc partisan d’une désescalade numérique. Il est encore temps de mettre en place des politiques publiques numériques qui soient non seulement conformes à l’horizon démocratique mais aussi conscientes des impératifs écologiques. Pour cela, il serait sans doute nécessaire de ‘proscrire un grand nombre d’usages et de dispositifs. Comme face au changement climatique, c’est un défi proprement anthropologique qu’il nous faut aujourd’hui relever, qui s’incarne déjà dans une multitude de luttes politiques. Cela passera nécessairement par l’action collective.

15h16 : Méndez sortit de sa poche-revolver un portefeuille en cuir retourné offert en 1966 par une prostituée qu’il avait protégée de la violence de son mac… Sans daigner jeter un oeil à l’addition, attiré par les seins déjà tombants de la chef de salle Roseta, il lâcha un billet sans récupérer la monnaie. Ricardo est un homme généreux. Dieu le lui rendra.

3 réponses à « L’Open Source et le pélerinage de Ricardo Méndez »

Répondre à Le coup de gueule de Nath-Sakura ! – Un photographe insignifiant incarne l’inspecteur Méndez ! Annuler la réponse.


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