Qu’est-ce que l’absurdité ?

Ricardo Méndez, le plus médiocre et insignifiant gradé de la police de Barcelone, se déplace avec une lenteur calculée, de bar  en bar, dans les quartiers de la vieille ville, les poches pleines de livres. Ricardo est éclectique et cette recherche permanente de la diversité l’aide à comprendre le comportement de la « populace » dirait Hannah Arendt…

Méndez se souvient clairement avoir lu et relu, il y a quelques années déjà, le savoureux ouvrage du sociologue Christian Morel :

« Les décisions absurdes: sociologie des erreurs radicales et persistantes« 

Ce remarquable chercheur illustre par une série d’exemples mondialement connus (accident de la navette spatiale Challenger, naufrage du Titanic… ), dans des domaines aussi différents que l’aéronautique ou les processus de décisions managériales, les biais cognitifs qui conduisent à des prises de décisions souvent collectives qui conduisent à la catastrophe que l’on veut au départ éviter…

L’exemple le plus illustratif selon Méndez est la décision radicale et persistante du commandant de bord d’un avion de ligne qui a ordonné au copilote, pendant la phase d’atterrissage, de vérifier de manière itérative si le train d’atterrissage était bien sorti malgré les avertissements de son collègue  lui signifiant que les réservoirs de carburant étaient… quasi-vides ! Le crash s’est produit alors que le train était bien sorti, par… manque de carburant !

Plus près de nous, le 5 décembre 2023, l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) a dévoilé les observations du Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA) concernant le niveau de 700 000 éléves de 15 ans dans 81 pays qui accuse une « baisse inédite de la performance ». En mathématiques, la moyenne de l’OCDE évolue à la baisse de 15 points par rapport à 2018 et de 10 points en compréhension de l’écrit. Les résultats de la France  baissent davantage que dans le reste de l’OCDE.

Gabriel Attal, ministre en charge de l’Education en France, annonce vouloir expérimenter près des collégiens le logiciel MIA (Module Interactif et Adaptatif) conçu par la startup  française evidenceB (evidenceB comme « evidence based« , c’est évident mon cher Watson !).

Il y a très longtemps que les systèmes éducatifs de tous pays cherchent à assister (voire à remplacer) les enseignants, dont la fonction se limiterait à du monitoring, par du logiciel. Les MOOC sont des exemples qui ont montré de fortes limites, certains parlent d’échec. Citons par exemple le MOOC du MIT dont l’efficacité semble mitigée.

Les plateformes d’apprentissage classiques (non pourvues d’un moteur d’apprentissage adaptatif) n’ont pas montré de réels résultats dans l’apprentissage, l’évaluation et la certification des connaissances…

Citons-en 2, pour illustrer :

• Pix,
• Root-me.

Parmi ces 2 plateformes dédiées à l’apprentissage des techniques informatiques, la plus intéressante est Root-me (« la root est longue mais la voie est libre !« ) mais aucune d’elles ne peut avoir la prétention de raccrocher un élève/étudiant à la dérive ! Pix présente également le désavantage de normer (standardiser) les connaissances… Quid du développement de la créativité ?

Thierry de Vulpillières, co-fondateur d’EvidenceB, évoque un processus d’ « adaptative learning » embarqué dans MIA et assure l’efficacité de sa plateforme qui va proposer des exercices adaptés, personnalisés aux difficultés rencontrées par chaque élève. Cette efficacité est-elle démontrée ? Non, en tout cas pas au sens de l’Evidence based medecine contrairement à ce que laissent croire les fondateurs de la startup… A quand les « essais contrôlés randomisés » dans l’éducation ? Seraient-ils éthiques et souhaitables  ou même simplement réalisables ?

Evoquons un dernier point : celui de la porosité public/privé favorisant conflits et prises illégales d’intérêts et de récupération politique potentielle exercée par certains :

Le site d’EvidenceB met en avant le pedigree de ses membres fondateurs et cadres dirigeants. Que constate-t-on ?

• l’absence totale de professionnels de l’éducation à l’exception de… Catherine de Vulpillières (conjointe de Thierry de Vulpillières ?), transfuge de l’Education Nationale, ex-Professeur de Lettres en CPGE khâgne dont on peut a priori légitimement douter de sa compétence en matière d’élèves décrocheurs !
• la dominance des spécialistes du marketing et de la stratégie commerciale, ceux de l’analyse des données et du développement arrivant en derniers maillons de la chaîne !
• Thierry de Vulpillières est, quant à lui, un transfuge de Microsoft. En matière d’infiltration des administrations françaises pour mieux vendre ses produits et tendre vers une dominance du marché, Microsoft n’en est pas à son coup d’essai…

« Qu’en est-il des rapports humains et plus globalement de l’avenir de l’homme ? N’allons-nous pas droit dans le mur en mettant en place des solutions techniques destinées à pallier les dérives de notre société sans s’attaquer à leurs causes, pseudo-technosolutions qui vont en fait précipiter la fin de notre monde ? Décisions absurdes, persistantes et radicales dirait Christian Morel.

« Qu’est-ce que l’absurdité ? » s’interroge Méndez… « Aller droit dans le mur en appuyant sur l’accélérateur tout en sabotant les freins ! » Une forme de suicide collectif d’une société composée de « vivants qui n’aiment plus la vie. » concluerait Aurélien Barrau.

« Demain, serons-nous seuls face à nos écrans ? » Eric Sadin.