Faut-il agir après avoir compris ?

L’inspecteur Ricardo Méndez est considéré à l’unanimité par sa hiérarchie comme l’officier de police le plus insignifiant de Barcelone… voire de toute la péninsule ibérique…

Le nom de Méndez n’est lié à aucun fait d’armes, aucune enquête réussie, aucun coupable arrêté… Le vieux condé à l’imperméable limé n’a même pas su retrouver le chien égaré du commissaire principal Monterde… C’est dire…

L’image de l’inspecteur est pourtant à l’apogée dans tous les bars obscurs, les boîtes de nuit les plus sordides et auprès tant des macs que des prostituées… Méndez serait-il corrompu ? Que nenni !

En fait, Ricardo résout presque toutes les affaires criminelles ou délictuelles de son quartier… Il identifie le coupable non par des prélèvements d’ADN sur les scènes de crime ou autres techniques très avancées de l’ « evidence based police« . Il ne fait que chalouper de bars en restaurants mal famés en s’imprégnant de l’ambiance et des conversations du moment… Son quartier est sa niche environnementale et il sait bien, fort de son expérience jamais reconnue, que le criminel revient toujours sur le lieu du crime…

ll suffit d’être au bon endroit, au bon moment et savoir profiter de la minute où les langues avinées se délient… « l’instant décisif« , cher à Cartier-Bresson.

Ricardo Méndez

Connaître le nom du coupable est très jouissif pour Ricardo mais alors ? Pourquoi ne pas procéder à arrestation ? En réalité, le flicard veut comprendre. Comprendre pourquoi le premier cuistot de Carme Ruscadella, a volé le Vespa Rallye 200 cc vert olive millésime 1971 de sa patronne. Comprendre pourquoi « l’Effronté avait monté des combines immobilières en se faisant passer pour un propriétaire, des combines d’électroménager en se prétendant capitaine de la Garde Civile, des combines de cautions judiciaires en jouant les magistrats et jusqu’à des combines diocésaines en feignant d’être évêque. On disait même que, dans sa phase épiscopale, il avait piqué la maîtresse d’un évêque pour de vrai » : Méndez édité chez Atalante en 2003, VF.

Et pour l’inspecteur, comprendre est presque toujours une finalité. Ricardo essaie toujours de trouver circonstances atténuantes aux coupables pour ne pas bouleverser l’équilibre précaire qui s’est instauré dans le quartier.

Comprendre oui. Agir ? Uniquement quand victimes et bourreaux y trouvent avantages…

Ricardo Méndez

En fait, se dit Ricardo, l’homme évolue dans sa « niche environnementale » (Henri Laborit) et est pourvu, contrairement aux espèces animales moins biologiquement évoluées et aux machines même dôtées d’IA, de… conscience.

On va ici voir que l’être humain, dans les limites de ce que permettent ses interactions avec son environnement immédiat, va osciller entre l’agir et le comprendre, les 2 n’étant pas obligatoirement associés comme les développements suivants vont tenter de le montrer…

Commençons par éliminer les cas les moins intéressants :

Ne pas comprendre, ne pas agir

Pour illustrer, Méndez évoquerait les cas des états végétatifs (provoqués ou non). Si la conscience de l’être est toujours là, alors cela pourrait s’expliquer par ce que le grand Henri Laborit qualifiait d’inhibition de l’action… Dans ce cas, l’homme ne peut ni lutter, ni fuir, ni encore moins analyser (pour comprendre). Il se soumet à la pression extérieure, qui, si elle est prolongée, va développer en lui des maladies voire la mort.

Agir sans comprendre

On agit dans ce cas par reflexe, avec parfois l’alibi de règles morales ou religieuses enfouies au plus profond du cerveau…

Il est évident que le flicard qui vous parle n’agit jamais comme cela car il est désespérément trop lent, manquant véritablement de cette agilité qui a donné son nom à la fameuse méthode de gestion de projets… Son Astra Mod.400, qu’il ne porte que rarement, ne lui est, de surcroît, d’aucun secours car presque toujours chargé à blanc… mais graissé chaque matin.

Entrons dans le coeur du sujet :

Comprendre pour agir

Une phrase trop souvent reprise et rarement expliquée… et qui peut se prêter à de multiples sens…

Méndez va tenter d’aller plus loin en posant la simple question :

« Faut-il agir après avoir compris ?« . Ce n’est pas parce qu’une équipe de scientifiques a démontré un principe physique, biologique ou chimique (par exemple) qu’il faut nécessairement le mettre en application dans des réalisations industrielles…

Clairement non, toute découverte n’est pas bonne à appliquer si elle est potentiellement dévastatrice pour l’Homme et son éco-système.

Ricardo Méndez

Le débat n’est pas nouveau :

« Si j’avais su que les Allemands ne réussiraient pas à développer une bombe atomique, je n’aurais rien fait »

Albert Einstein

Dans la même période, Robert Oppenheimer, responsable du projet Manhattan, démissionne de son poste et plaide en 1949 pour un contrôle international et une limitation de l’armement nucléaire, s’opposant à la création de la bombe H.

Très récemment, l’Association Française Contre l’Intelligence Artificielle a proposé en lecture son manifeste et à la signature une pétition contre l’IA.

Agir pour agir

Répondre systématiquement « oui » à la question de Ricardo Méndez : « Faut-il agir après avoir compris ? » va enclencher le « Agir pour agir » et conduire à une expansion sans fin du technosolutionnisme, expansion accélérée par la corruption des Etats et des organismes de régulation internationaux (OMS, ONU… ) en relation de complaisance avec les hyper-riches qui détiennent les richesses mondiales via quelques dizaines de multinationales…

Agir pour agir : ces 3 mots décrivent à eux-seuls la situation actuelle où le monde est découpé en 2 : une majorité de gens crédules et une très faible minorité de… menteurs qui, consciemment ou non (des perroquets aux ordres dans ce dernier cas) sont là pour faire du business, de la propagande… au profit de leurs propres intérêts : conserver 80 % des richesses de la planète à leur usage exclusif et satisfaire leurs délires liés à une croissance sans fin alimentée par des ressources perçues comme illimitées, à l’homme augmenté et, à terme, à l’immortalité. Un monde où règne l’absurdité…

« Qu’est-ce que l’absurdité ? Aller droit dans le mur en appuyant sur l’accélérateur tout en sabotant les freins ! »

Ricardo méndez

Une absurdité déjà très bien analysée dans le film « La folie des hommes » réalisé par Renzo Martinelli en 2001.

Nombre de prix Nobel sont décernés maintenant à des scientifiques encore en activité et dont les découvertes sont vues par l’industrie mondiale comme pouvant permettre d’industrialiser des produits techniques à haute valeur ajoutée dans des délais très courts. Mais ces produits considérés comme innovants sont-ils désirés par les populations ? Celles-ci sont-elles d’ailleurs suffisamment éclairées pour juger du rapport bénéfices/risques de ces innovations ? Ont-elles été consultées ? Peuvent-elles seulement refuser ? Ou bien, sont-elles dans le « Ne pas comprendre, ne pas agir » donc dans la soumission et l’inhibition de l’action décrites supra ? Sommes-nous déjà dans le « Totalitarisme informatique » décrit dans le dernier ouvrage de Christopher Pollmann, Professeur agrégé de droit, enseignant-chercheur à l’Université de Lorraine à Metz et directeur du séminaire « Accumulations et accélérations » à la Fondation Maison des sciences de l’homme de Paris ?

A titre illustratif :

Peter Grünberg et Albert Fert ont conjointement décroché le Nobel de Physique 2007 grâce à leur découverte de la magnétorésistance géante (Giant Magneto-Resistance, GMR) et leur contribution au développement de la spintronique. Les industriels ont tout de suite vu une application très rentable sur un marché en expansion à l’époque : la capacité de stockage des disques magnétiques des ordinateurs (les fameux disques dits « durs ») s’est alors mesurée en To alors qu’elle l’était en Go avant cette découverte… Un facteur de… x 1000 ! Leur découverte date de 1998, récompensée en… 2007 !

Plus récemment encore, les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna sont co-lauréates du prix Nobel de Chimie 2020 pour l’invention de la technique de ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 en 2012. Emmanuelle avait… 51 ans et sa complice de recherche 56 ans ! Jennifer Doudna est, depuis 2018, membre du Conseil d’Administration Johnson & Johnson

Toujours chercher à qui le crime profite !

Ricardo Méndez

Le découpage de l’ADN par cette méthode vue comme peu coûteuse à exploiter industriellement aurait la capacité de transformer l’agriculture et la médecine et pourrait même guérir des maladies héréditaires comme la maladie de Huntington, la mucoviscidose et certains types de cancer… « A voir… » se dit l’incrédule Ricardo à qui on ne la fait pas ! L’industrie, elle, ne va pas se dessaisir de l’occasion et sans doute même est-elle à la génèse de cette recherche !

Interview Charpentier 2016 : Y-a-t-il un risque que « crispr-cas9 » soit mal utilisé ?

Comprendre pour (juste) comprendre ?

Et le vieux condé de rêver…

Et si… les recherches en sciences fondamentales n’étaient pas contraintes par les Etats (souvent avec des visées expansionnistes), par les complexes industriels civils et/ou militaires ?

Et si… les recherches en sciences fondamentales étaient découplées de la recherche appliquée qui seule intéresse les dominants ?

Et si… l’on supprimait les brevets d’invention au profit de l’Open (Open Hardware, Open Source, formats, protocoles et données libres) ?

Et si… l’on privilégiait le petit face au gros (« Small is beautiful » aurait dit Ivan Illich),

Et si… la recherche était financée par… les citoyens (sous forme de crédit d’impôt par exemple) ?

Et si…

L’anaphore se pousuivit très tard jusqu’à fermeture du bar…

4 réponses à « Faut-il agir après avoir compris ? »

  1. […] Les nouveaux riches du numérique peuvent-ils contrôler le monde ? La philosophie du « Comme si…  » et la virtualisation du monde réel Réflexions philosophiques d’un vieux flic près d’une chasse d’eau Faut-il vraiment arrêter la machine ? Les nouveaux riches du numérique peuvent-ils contrôler le monde ? Qu’est-ce que l’absurdité ? L’hypothèse K L’utopie déchue De l’évolution des Interfaces Homme-Machine (IHM) et des senseurs haptiques : un exemple de technosolutionnisme. Faut-il agir après avoir compris ? […]

    J’aime

  2. […] Faut-il agir après avoir compris ? Faut-il vraiment arrêter la machine ? […]

    J’aime

Répondre à Portrait à charge – Un photographe insignifiant incarne l’inspecteur Méndez ! Annuler la réponse.


En savoir plus sur Un photographe insignifiant incarne l’inspecteur Méndez !

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

close-alt close collapse comment ellipsis expand gallery heart lock menu next pinned previous reply search share star