Critiquer un ouvrage que vous n’avez pas lu ? Est-ce bien sérieux, Inspecteur ?

27 avril 2024 à 9H16 : on retrouve l’ami Ricardo, accoudé au zinc de l’Hemingway Gin & Cocktail Bar, plus fringant qu’à l’accoutumée et rasé de près, à l’endroit même où, le 25 janvier de cette même année, le condé s’était fait interviewé par surprise à ce même comptoir par la très séduisante Astrid Bosch, journaliste et photographe à l’Equinox, le media francophone de Barcelone.

Astrid, encore et toujours elle, vêtue d’un chemisier blanc translucide à l’échancrure généreuse et d’une jupe de cuir, courte et noire, laissant deviner dans la pénombre du bar de fort jolies cuisses fuselées, s’est installée depuis quelques instants face au vieillard assermenté et compte bien pousser l’officier dans ses retranchements et contradictions…

Astrid : Bonjour Inspecteur. Vous buvez du café ? Je suis surprise…

Méndez : J’essaie de conserver mes esprits face à votre sagacité légendaire. Je vous rassure, ce sera le dernier de la matinée, ma vessie hyperactive ne supporterait pas la tasse suivante.

Astrid : Inspecteur… Vous avez acquis, et je n’y suis vraiment pour rien, une petite notoriété en publiant quelques unes de vos analyses sur l’Intelligence Artificielle (IA)… Mais là, vous exagérez… Critiquer un ouvrage que vous n’avez pas lu… Vous piétinez vos propres valeurs, Méndez !

Méndez : Je n’ai pas de valeur(s).

Astrid : Venons-en au fait… On parle de vous dans tous les bars et gargottes de votre quartier. Vous démolissez le dernier livre de Alain Damasio tout en avouant ne pas l’avoir lu… Ca ne vous ressemble pas… Sur quoi vous appuyez-vous pour légitimer pareille traitre attaque ? Damasio a-t-il couché avec une de vos vieilles maîtresses ?

Méndez : Mes maîtresses ne donnent plus envie à quiconque et ce sont des prostituées qui n’appartiennent à personne. Ne vous laissez pas aller vers vos penchants féministes, Astrid.

Après une filature manquée, j’ai décidé de faire une pause et j’ai lu en diagonale l’interview Mediapart de ce Monsieur Damasio, auteur de science-fiction de son état. Cette entrevue semble promouvoir les ventes de son dernier ouvrage et premier essai : « Vallée du silicium« …

Astrid : Et ? Seriez-vous jaloux de son succès, vous, un petit flic de quartier ?

Méndez : Essayeriez-vous de me séduire par vos propos agressifs ? Offrez-moi un verre.

Astrid : Cataliiinaa !

Catalina, la barmaid de l’Hemingway, une robuste blonde aux « seins ogivaux parfaitement horizontaux faisant, de facto, équerre avec l’une des pompes à bière« , lui servit un “Mother of dragons”.

Méndez : Ecoutez, si vous ne me laissez pas m’exprimer, je pars !

Astrid : Je suis muette, Monsieur l’Officier.

Méndez : Revenons à l’interview de Damasio, voulez-vous ? Ca commence fort mal je trouve… Cet auteur expose d’abord sa théorie éculée sur le Global Positioning System (GPS).

« Une technologie comme le GPS nous offre ainsi un pouvoir important qui se paie d’une puissance appauvrie »

Alain Damasio

Selon moi, cette technologie fait partie des inventions majeures du siècle dernier. Le GPS n’est aliénant que si l’on appréhende mal ce système de positionnement… Mais on a le choix de bien l’utiliser. Ricardo ne voit aucune évidente menotte numérique associée à ce système.

Illustrons un peu : l’instrument de navigation à base des systèmes GPS ou assimilés (Beidou, Galineo, Glonass) par les concurrents d’un rallye-raid est configuré en mode… boussole…Il indique la position du véhicule et le cap à suivre… Jamais la route (ou piste) à emprunter !

Hors compétition, et sur tous les appareils GPS dignes de ce nom, il est possible de tracer avant le départ le trajet souhaité avec tous les « waypoints » jugés utiles… La possibilité d’avoir des cartes embarquées sur l’appareil (de préférence de type OSM) fait que le GPS n’a pas besoin d’être connecté en 4G, 5G. Alain Damasio en serait-il resté à Google Map, Mappy ou autres systèmes primitifs (et privateurs !) ?

Ce même auteur évoque ensuite la fameuse encyclopédie mondiale en ligne Wikipédia :

Wikipédia, par exemple, me donne accès à toute une synthèse de connaissances sans limiter ma puissance de création, et même en l’augmentant.

Alain Damasio

Damasio oublie de dire que beaucoup d’articles sont rédigés par des internautes, compétents ou non, intègres ou non, appartenant à une origine ethnique, citoyens d’une nation donnée etc… Autant de particularités qui introduisent, par osmose dirait Gainsbarre, des biais cognitifs…

Pour s’en convaincre, laissez-vous aller, chère Astrid, et lisez comparativement les biographies du grand infectiologue Didier Raoult publiées sur wikipedia France et sur wikipedia english.

Sans même aller plus avant dans l’analyse, les longueurs respectives de ces 2 biographies d’un même personnage interrogent non ? Astrid, je vous laisse tout pouvoir pour investiguer… La « puissance de création » évoquée par Damasio n’est-elle pas entachée par le long travail de vérification (malgré citations des sources) des articles Wikipédia avant leur réelle exploitation ?

Wikipédia a été créée, si ma mémoire ne flanche pas, en 2001… Damasio en est-il resté à cette époque-là ? Damasio est mûr pour franchir, sans se poser de question aucune, l’étape proposée (imposée ?) par l’IA générative…

Astrid : Vous marquez des points, cher Ricardo…

L’officier, qui ne connait que trop l’hypocrisie féminine, émit un léger soupir avant de finir son Mother of dragons.

Astrid : Damasio insiste beaucoup sur l’usage que l’on fait des smartphones plus que du temps pendant lesquels on les utilise…

Une heure sur un smartphone peut être débile ou utile selon ce qu’on vous apprend à y faire et y voir. Ce qui compte n’est pas le temps d’écran en soi, mais ce qu’on y fait.

Alain Damasio

Méndez : Damasio ne semble pas avoir lu Eric Sadin et plus particulièrement « La vie spectrale » :

Eric rappelle l’échec du projet « Google Glass » apparu en 2011 et des casques de réalité virtuelle, imaginés trop tôt et rejetés par les populations de l’époque mais le nouveau capitalisme n’a pas eu besoin de ces IHM et a réemployé l’existant : les écrans (et bien entendu, d’abord et avant tout les smartphones). Est alors apparu « un capitalisme de fixité des corps« . L’individu n’a plus besoin d’être en mouvement pour être immergé dans le « spectre », un univers fantômal, virtuel. Le philosophe insiste sur le face-à-face quasi permanent entre un individu-consommateur et travailleur et… un écran (sa seule vitrine sur un monde virtuel qu’il n’a pas choisi) quelque soit sa position dans l’espace et sa mobilité.

Mais l’échec du projet Google Glass ne doit pas masquer le fait que l’on travaille toujours sur la virtualisation du réel, d’abord en le masquant, ensuite en le détruisant…

Astrid : Inspecteur, soyez sérieux…

Méndez : Je n’ai jamais été aussi sérieux.

Astrid : A aucun moment, ce nouvel essayiste ne critique vraiment la primauté de la technique dans notre monde. Faut-il aller plus loin et « tout débrancher » ?

Félix Tréguer a dit, dans sa « Contre-histoire d’Internet » :

Ce qu’il nout faut, d’abord et avant tout, c’est arrêter la machine

Félix Tréguer

Astrid : Le mot de la fin, Ricardo ?

Méndez : Le dernier mot revient à Damasio en fin d’interview :

Écrire des livres ne suffit plus à mes yeux.

Damasio

En tout cas, je n’ai pas envie de dévorer son ouvrage…

Foi de Méndez !

Astrid (d’une voix langoureuse et déjà un peu pâteuse) : Ricardo… Ricardo… Puis-je vous inviter à dîner ce soir ?

Note du traducteur : Ricardo… Ricardo… ¿Puedo invitarte a cenar esta noche?

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